La création du mythe Sambin (1518-1602) au XIXème siècle par les historiens d’art
Le mythe Sambin n’est pas apparu dans les pensées des auteurs, sans raison or il convient d’expliquer pourquoi, certaines figures emblématiques du XVIème siècle réapparaissent dans les ouvrages d’Art et d’Histoire. C’est en effet vers les années 1830 environ que l’on s’est intéressé à l’art de la Renaissance. Une tentative de périodisation de l’histoire de l’art commençait à prendre forme. On inventa ainsi les notions de Gothique, Roman, et de Renaissance. Dans le même temps, qu’on donnait un contenu épistémologique à l’histoire de l’art, la production artistique, étrangement, se retournait sur elle-même au lieu de poursuivre son cours, et alors on proposait au public du néogothique ou du Néo-renaissance : une réinterprétation des styles historiques que les savants étaient en train de définir. L’étude de la Renaissance était alors en marge de réalisation.
Ce qui intéresse cette époque est le style Henri II, car il présente un caractère typiquement français il sera donc mis en valeur par la génération des années 1830. Se trouve mêlé au style Henri II, l’expression «Néo-renaissance », ces termes ne sont synonymes, mais le champ du premier se trouve inclus dans celui du second : on parle d’architecture et d’arts décoratifs Néo-renaissance, mais on a limité le discriminant « Henri II » au mobilier. Ce qui intéresse les savants en fait, c’est d’une part la connaissance approfondie des édifices du XVIème, ainsi que le mobilier. Leurs préoccupations sont de retrouver le nom de l’artiste qui est à l’origine de cette œuvre. Diverses études ont été réalisées, par Viollet-Le-Duc et par Marius Vachon auteur d’une monographie sur Philibert Delorme et sur les Chambiges.
Pas plus que ses confrères et émules, Hugues Sambin n’a eu de son temps les honneurs d’une notice. A Dijon, où il fut formé, il a laissé une réputation qui dure encore de nos jours Mais le premier essai d’étude sur l’ensemble de son œuvre date de 1854 : c’est le Marquis de Chennevière-Pointel qui le premier écrira un ouvrage sur les artistes provinciaux de l’ancienne France, nous y reviendrons dans la suite de notre étude, notamment lorsque nous évoquerons Hugues Sambin. D’autres auteurs éclairciront la vie de cet artiste: Auguste Castan, Edmond Bonnaffé, Philippe de Champeaux, Philippe de Chennevière- Pointel, Perrault-Dabot […].
La découverte de cette figure emblématique de la Bourgogne par les firmes de menuiseries d’art
Comme nous l’avions expliqué au tout début de notre premier chapitre, la fascination pour la Renaissance marque les années 1830/1840. Une nouvelle génération d’ornemanistes, telles que, Claude-Aimé Chenavard , Jean-Jacques Feuchère, et Jules Klagmann contribuèrent à introduire dans les arts décoratifs les modèles du XVIème, d’abord dans la céramique et l’orfèvrerie, puis, surmontant plus de résistance, dans le mobilier. La première timide manifestation du style Néo-renaissance dans le domaine du mobilier a lieu à l’exposition des produits de l’industrie de 1834, non pas dans la section ébénisterie, où seul Bellangé « paraît s’être proposé de reproduire le style des meubles du XVIème siècle », sans succès d’ailleurs selon le jury mais dans la section des tapis, avec Henri Chenavard. C’est aussi à cette époque, que se dégagent des tendances qui vont se confirmer pendant tout le long du XIXème siècle : Le retour au bois sculpté et la recherche de la polychromie. On devine très bien que les modèles qui seront utilisés, vont être des œuvres d’artistes de grandes renommées, dont les plus grands sont Du Cerceau ou Sambin. Ce qui me vient à l’esprit et demande forcément des explications.
Comment les Firmes d’ébénisteries d’art ont-t-elles découvert, l’existence de meubles attribués à Hugues Sambin ?
Ceux qui sont à l’origine de la transmission de ces modèles, sont évidemment, les Ornemanistes parce que ce sont eux qui ont un lien direct entre les modèles et les firmes […].
La fabrication de « faux » Sambin par des industries d’ameublement
Après avoir brièvement dressé une série de modèles de meubles proposés par les ornemanistes, il convient donc de voir si ces firmes ont été amenées à puiser dans le substrat des gravures datant du XIXème siècle. Néanmoins, la plupart des auteurs que nous avons cités précédemment, ont justifié le rôle de leur traité respectif. Cependant, nous ne le dirons jamais assez, la Renaissance française s’est construite en réinterprétant l’art des italiens du XVème siècle, par le biais des guerres, des invitations d’artistes italiens et de la diffusion de Gravures qui circulaient à l’époque en France et dans le restant de l’Europe. Je veux simplement dire que s’il y a de «faux » Sambin qui circulent en France au XIXème siècle, c’est peut être lié à la diffusion de ces modèles. Et, lié également à une époque qui recherche à tout prix, à remettre au goût du jour un passé. Les firmes d’ameublement avaient accès à ces dessins et gravures, car je ne vois pas comment elles auraient pu se les approprier. Ce qui confirmerait la participation des industries d’ameublement à la fabrication de «faux » Sambin ou de meubles dont les décors auraient été inspirés par le répertoire décoratif de Sambin.
Les industries d’ameublement qui ont conçu des meubles à l’image des œuvres de Sambin sont la firme Monbro et Beurdeley dont je vais vous parler. Il en existe d’autres, comme les firmes Mercier frères, Fourdinois, Sauverezy, Grohé, la Maison Mazaroz-Ribaillier […].
Les amateurs du mobilier Néorenaissance et d’époque Renaissance : leur intégration dans un milieu renaissant
Les meubles et leurs fonctions
Dans la préface de Daniel Ramée sur les «Les meubles religieux et civils », il développe en quelques lignes l’histoire de l’ameublement. Ces propos me paraissent très intéressants, car il place l’objet comme une entité meublant l’intérieur d’une architecture.
Après l’histoire de l’architecture et de la sculpture d’ornement, une des études la plus intéressante est sans contredit l’histoire de l’ameublement, supplément lui-même de l’art de bâtir, sans lequel cet art reste incomplet jusqu’à certain point. « Car dès que l’homme est parvenu après une longue expérience à élever un monument d’un genre quelconque, c’est pour le faire servir à un but conçu d’avance et cet objectif ne peut être atteint, si le monument élevé n’offre que les quatre murs de ses salles et de ses pièces ». Daniel Ramée.
Quant à la maison de l’homme, il est clair qu’elle n’est agréable et commode qu’à la condition de refermer un ameublement élégant et confortable. Dès les origines des sociétés stables, il y a eu des lits, des tables, des chaises, plus ou moins rustiques. Dès le principe, quand l’homme a élevé un abri, il a aussi pensé à des ustensiles destinés au repos et à d’autres au moyen desquels il pouvait prendre sa nourriture à l’aise en se délaissant de ses fatigues.
De là l’invention du lit, de la table, de la chaise et de toutes autres formes d’objets. Il est remarquable et curieux que notre ameublement, quelles que soient les variations, les métamorphoses et les changements qu’il ait subis, a toujours conservé dans ses formes principales et dans beaucoup de ses détails certains types qui datent de plusieurs milliers d’années. Il a fallu donner un nom à ces divers objets, qui malgré leurs ressemblances avaient un rôle bien précis […].
Les amateurs du mobilier attribué à Hugues Sambin ou à son école
Tout au long du XIXème siècle un grand nombre de collectionneurs privés, possédaient des œuvres de Sambin ou provenant de son atelier ou même d’un tout autre atelier bourguignon travaillant dans le même esprit que Sambin.
Le catalogue descriptif des objets d’art formant le Musée Anthelme et Edma Trimolet, renferme divers objets d’art : tableaux, médailles, des camées et intailles, antiquités égyptiennes, des meubles, de la verrerie, des orfèvreries etc. Ce catalogue dressé en 1883, par E. Gleize conservateur du Musée de Dijon, fait mention d’une fameuse crédence, classée en inventaire chronologique n° 903.
Que dit cet inventaire ? «Crédence sur pieds en bois de noyer sculpté, à trois vantaux et tiroirs. Travail français. Règne d’Henri II. » Ce beau meuble à frises et moulures sculptées, est orné de mascarons et chutes de fruits, dont le corps du milieu a pour principal ornement, un riche panneau représentant en haut relief un thème biblique. Le sacrifice d’Abraham est la scène centrale du panneau du meuble, ceux des côtés, des figures de la Paix et de l’Abondance avec des chimères aux angles. Il repose sur quatre colonnes ornées, reposants sur un socle à décors de feuilles d’eau. Au second plan trois panneaux sculptés, séparés par des pilastres. (H. 1,83- l. 1,38) Madame Edma Saulnier, veuve de Monsieur Anthelme Trimolet, peintre distingué de Lyon, est décédée le 2 septembre 1878, à Saint Martin sous Montaigu. Elle laisse à la ville de Dijon, par testament en date du 25 août 1878, ces précieux objets d’art réunis par son mari et par elle et qui devaient aux termes du testament, former sous la dénomination de Musée Anthelme et Edma Trimolet une collection spéciale. Cette crédence, a fait l’objet d’une étude, lors de l’exposition de Dijon en 1989. Catherine Gras a apporté des éléments d’informations, sur l’origine et l’auteur de ce meuble, elle a donc, attribuée cette œuvre à Hugues Sambin, à cause des motifs utilisés, comme la tête laurée à serviette autour du cou, les linges suspendus, les rinceaux de lierres, les plumes d’oiseau […].
La restauration au XIXème siècle du mobilier privé d’Hugues Sambin
Si une pratique dendrochronologie était réalisée sur chacun des meubles attribués à Sambin ou à son école, nous serions très surpris du résultat. Cette étude est basée sur la datation d’un échantillon de bois, afin de connaître approximativement l’année, où l’arbre a été abattu. Si cette étude scientifique, n’était pas en concordance avec l’âge du meuble, cela voudrait dire que des meubles appartenant à des collectionneurs privés au XIXème siècle, auraient subi des restaurations ou des modifications. N’oublions pas le rôle des ébénistes au XIXème siècle, dont certains pratiquaient des restaurations sur des meubles anciens, c’est le cas par exemple de Monbro père, fondateur de cette firme familiale : (25 Janvier 1801) : « nouvellement arrivé dans cette ville, il prévient le public qu’il raccommode les meubles les plus précieux, notamment les anciens meubles connus sous le nom de Boulle, en ébène, cuivre et écaille, nacre de perle, etc., de manière à les remettre absolument à neuf, et qu’il établit en outre dans le goût le plus moderne . »
Jacques Hinton dont on connaît bien, pour avoir écrit un article en 2006, sur le cabinet du Getty, dans le cadre d’une étude dendrochronologie, il développe dans son introduction que «durant le XIXème siècle une forte demande remplit le marché de copies licites et illicites, autant que des objets hybrides assemblés avec d’anciens et des pièces disparates. Par conséquent, les spécialistes ont du faire la distinction entre les originaux, les faux et une multitude d’objets restaurés. « Selon Jacques Hinton, la restauration des meubles de la Renaissance remonterait au plutôt dans les années 1820… » […].
La décoration et les principes techniques de l’ébénisterie d’art sous la Renaissance et au XIXème siècle
Une histoire assez brève sur l’évolution des professions du bois n’est pas à négliger pour bien comprendre le fonctionnement d’un atelier de menuiserie d’art au XVIème siècle et au XIXème siècle.
Au Moyen Age, les ouvriers sont groupés en corporations. Les apprentis en nombre limités deviennent compagnons. Ces derniers peuvent passer maître en présentant un chef d’œuvre devant une commission d’examen ou jurande. Les règlements concernant l’exécution des ouvrages de menuiserie sont rigoureux. Le maître ouvrier appose sur chaque ouvrage son nom et conserve la responsabilité de l’exécution. Les meubles sont construits par les charpentiers de la petite cognée en opposition aux charpentiers de la grande cognée qui exécutent dans cette période des maisons à colombage ou pans de bois, les charpentes et planchers.
Jusqu’en 1300 tous les ouvriers sont sous les ordres du Charpentier du Roi. En 1314, les artisans du bois se séparent en catégories distinctes qui prennent leur autonomie : charrons, huissiers et huchiers.
Au début du XVIème siècle, sous François 1er, les huchiers prennent le nom de menuisiers, mot déjà employé depuis longtemps, mais commun à tout artisan exécutant de menus ouvrages. Sous Louis XIII, les «menuisiers en ébène » deviennent les ébénistes. C’est plus tard que la suppression des corporations interviendra. Dès 1791, un bouleversement profond affectera la profession, et cela se conclura par une disparition de la clientèle de luxe (noblesse et haut clergé).
Après ce court historique sur les professions du bois, nous essaierons de donner un aperçu sur ce qu’est le métier d’ébéniste, à différentes époques, au XVIème siècle et au XIXème siècle […].
Les Ornements
Le décor qui donne tout à coup sa richesse et son mouvement au mobilier de la seconde moitié du XVIème siècle provient de l’Italie et de l’art de Cour, en particulier de Fontainebleau. La grammaire décorative marque le retour à l’antique : palmettes, acanthes, oves, godrons, canaux, grecques, volutes d’acanthes, pilastres cannelés, colonnettes cannelées et laurées et atlantes.
Autres motifs antiques, l’aigle, les bucranes et les têtes de bélier ont connu une belle faveur dans le décor des meubles, au niveau des ceintures, au, piétement de table. Les cuirs découpés, mascarons, cartouches ont été mis à la mode par le Rosso. Les ébénistes de la seconde moitié du XVIème siècle, les ont fortement utilisés pour décorer leur meuble. Ce fut le cas pour Hugues Sambin qui utilisa certains de ces motifs pour décorer ses meubles : le cabinet Foulc présente dans les angles une tête humaine sculptée.
Concernant le XIXème siècle, c’est vers 1840, que le style éclectique sera mis à l’honneur. Ainsi, différents styles de meubles envahiront le marché, le goût pour le Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, et Renaissance seront alors en vogues dès le second empire.
Ces meubles aux formes souvent lourdes et aux décors chargés et contrastés auront comme qualificatifs, de style Napoléon III.
Cependant, nous n’allons pas étudier tout le décor de cette époque, mais nous nous consacrerons plutôt, à savoir qu’elles ornements étaient utilisés pour décorer les meubles Néo-renaissance. Nous répondrons à cette question en s’appuyant sur une œuvre attribuée à Henri Fourdinois. « La maison Fourdinois, active à Paris de 1835 à 1885, a joué un rôle prépondérant dans le monde des artistes industriels qui ont nourri, pensé et fait vivre tout un pan de la création artistique du XIXème siècle ». Cette maison réalise des meubles de style allant du style Renaissance au Louis XVI, […].
L’outillage dans l’ébénisterie d’art
L’outillage du menuisier ou ébéniste au XVIème siècle, est à peu près le même qu’aujourd’hui. Au XIXème siècle, l’ébéniste utilise toujours l’outillage de ses aïeux, mais il bénéficie en plus du progrès industriel, c’est-à-dire, que des machines-outils verront le jour, grâce notamment à l’invention de la machine à vapeur, par James Watt (an. P.106-109). Les procédés traditionnels sont progressivement concurrencés par la fabrication industrielle. Certaines opérations se font à la machine , mais d’autres ne peuvent encore se faire qu’à la main (moulures parties cintrées, ponçage). De toute évidence, la qualité de surface et la précision des assemblages, sont un moyen de distinction pour l’expert en mobilier, dans le but de savoir si c’est une fabrication récente ou ancienne. Il pourra distinguer également une copie de Sambin ou d’un vrai faux Sambin, si son œil est attentif à certains détails, qui trahiraient l’utilisation de la machine. Par ailleurs, les irrégularités de surfaces se remarquent plus facilement sur un meuble du XVIème siècle, car le menuisier d’art de cette époque, utilisait que des outils manuels […].
Les assemblages
Un menuisier d’art au XVIème siècle, s’exprime par son style qui lui est propre, on reconnaît ainsi un artiste, par le biais de sa sculpture, voire même de sa manière de structurer son œuvre, mais auparavant, il est obligé de franchir le stade de l’assemblage, qui consiste à assembler les différentes parties du meuble composées de : la corniche, l’ossature, portes, tiroirs, côtés, l’arrière etc… Ces assemblages sont de toutes sortes, les artisans de la Renaissance, usaient donc de ces principes techniques, pour construire un meuble, par conséquent, la maîtrise de ces assemblages était indispensable. Au XIXème siècle ces principes d’assemblages restent les mêmes, les artisans héritent des prouesses techniques du passé […].
Sources
1. M. Vachon, les artistes célèbres. Philibert Delorme, une famille parisienne de maîtres maçons au XV, XVI, XVIIème siècle, Paris, 1887
2. Son nom a été donné à l’une des rues de cette ville.
3. Le lit de l’exposition, reproduit par S. Flachat (L’Industrie, recueil de traités élémentaires sur l’industrie française et étrangère…, S.D. [1834], pl. XI), figure également dans Chenavard, l’Album de l’ornemaniste, 1835, pl. 55.
4. Gleize E.1883 : E. Gleize, Catalogue descriptif des objets d’art formant le musée Anthelme et Edma Trimollet, Dijon, 1883.
5. Ledoux-Lebard D. 2000 : D. Ledoux-Lebard, « Le mobilier au XIXème siècle (1795-1889) : dictionnaire des ébénistes et des menuisiers », Paris, 2000
6. Jacques Hinton, 2006, vol. 148, n°1239, p. 390
7. A. Aussel, Etude des styles du mobilier, Paris, 1985, p.50, 65 et 114.
8. André Louat et Jean Marc Servat , Histoire de l’industrie française jusqu’en 1945. « En mars, le décret d’Allarde interdit les corporations et proclame la liberté la liberté du travail »,Paris, 1995, p.66.
9. Gabet O. 2002 : O. Gabet, Sources et modèles d’un ébéniste au XIXème siècle : l’exemple d’Henri Fourdinois (1830-1907), Bulletin de la Société de l’histoire de l’Art français, Paris, 2002.
10. Dossier enseignant. Du cœur à l’ouvrage. CAP Sciences 2005. (http://www.cap-sciences.net)